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Discours du Président du Conseil National
de la Fédération Française de l’Ordre Maçonnique Mixte International le DROIT HUMAIN
pour la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité
Il est de ces jours où se souvenir et rendre hommage nous rappelle non seulement notre devoir de mémoire, mais plus généralement notre fragile humanité. C’est avec une profonde et réelle émotion que je prends la parole aujourd’hui, à l’occasion des 80 ans de la libération des camps d’Auschwitz-Birkenau par l’armée rouge. Le 27 janvier 1945, des soldats ouvraient le portail de fer surmonté de la devise “Arbeit macht frei “ et découvraient avec effroi ce que des hommes avaient fait subir à d’autres hommes.
Auschwitz… Aucun autre lieu ne s’est imposé à la mémoire collective avec une telle universalité. Le plus grand complexe concentrationnaire du Troisième Reich constitue le symbole des meurtres de masse et des atrocités commises par les nazis. Synecdoque macabre, il incarne à lui seul la Shoah. A la fois camp de travail forcé, de torture, de concentration et d’extermination, enclave mémorielle perpétuelle située à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Cracovie, il est considéré comme le plus grand cimetière de l’histoire de l’humanité. Il représente la part obscure de notre mémoire collective.
Nous sommes liés à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants assassinés dans les camps par un Amour qui unit les vivants et les morts par-delà les murs et par-delà les frontières. C’est pourquoi honorer la mémoire des victimes est notre devoir commun. Le tribunal de Nuremberg ne s’y est pas trompé, jugeant pour crimes contre l’humanité les plus hauts responsables de ces abominations, reconnaissant ainsi l’atteinte portée non seulement aux victimes mais à notre humanité tout entière.
Commémorer les victimes est un devoir commun de l’humanité, qui s’impose à nous. C’est un appel à « se souvenir ensemble » et à partager cette mémoire universelle sans distinction d’origines ou de religions.
Le 27 janvier 1945, il y a donc 80 ans, l’Armée Rouge libérait le camp d’Auschwitz-Birkenau. Dans ce lieu, plus d’1,1 millions d’hommes, de femmes et d’enfants dont la très grande majorité était juive, mais aussi de nombreuses personnes simplement coupables de leurs différences : tziganes, homosexuels, prisonniers politiques, ont été assassinés. Elles ont été emprisonnées, affamées, torturées, brisées, assassinées et brûlées.
Des hommes ont assassiné méticuleusement, mécaniquement, des milliers, des millions d’autres hommes, d’autres femmes, dans les camps de la mort, dans les camions et les chambres à gaz, sur les routes d’Europe, dans les ghettos des plus grandes villes comme dans les plus petits villages et les plus petits hameaux. La barbarie était insatiable. Il fallait engloutir la vie, humilier les êtres, broyer les corps. Le plus grand nombre ! Le plus vite possible ! Et en effaçant, surtout, en essayant d’effacer toutes les traces. Je cite ici Primo Levi « Savez-vous comment on dit jamais dans le langage du camp? « Morgen früh », demain matin. »
Commémorer et se souvenir comme nous le faisons aujourd’hui, c’est aussi vouloir comprendre les processus historiques et sociaux qui ont rendu possible cette violence inouïe. Les Nazis se sont appuyés sur des technologies de communication modernes pour ancrer leur idéologie raciste et antisémite dans les esprits. La conquête du pouvoir et la mainmise sur tous les moyens d’information et de propagande leur a permis de légitimer leur projet radical de domination fondé sur la hiérarchie des « races » et le déni de l’unité du genre humain.
Auschwitz incarne plus que tout, la barbarie nazie. Ce système concentrationnaire fut l’instrument de la mise à mort programmée de centaines de milliers d’hommes et de femmes. A la fois, camp de travail, camp de torture, camp de concentration et camp d’extermination. Camp de la mort ; immédiate ou différée, mais aussi lieu d’esclavage sexuel où des milliers de femmes slaves ont été contraintes de se prostituer.
La France de Vichy a prêté main forte, a trempé ses mains dans l’horreur du génocide, en livrant ses propres enfants. Oui, il y a eu des Français pour dénoncer d’autres Français, parce que juifs. Il y a eu des Français pour, au petit matin, arrêter des hommes, des femmes, des enfants, pour les faire monter dans des autobus, les parquer comme des bêtes dans des camps de transit, les jeter dans des trains de marchandises menant à des usines de mort. Il y eu des français pour tirer un trait sur la République et les valeurs démocratiques.
Heureusement, il y eu aussi des français qui, par leurs actes de bravoure cacher, fabriquer de faux papiers, passer les frontières, des actes qui leur faisaient courir les plus grands dangers, ont sauvé des vies. Résister était leur maître mot. Dans un discours prémonitoire en 1935, l’écrivain André Chamson affirmait « résister, c’est d’abord ne pas s’arrêter à la persécution, ni à la calomnie, ni à l’injure, puis, s’il le faut, que c’est combattre, et puis, vainqueur ou vaincu, que c’est résister quand même, c’est-à-dire rester semblable à ce que l’on est jusque dans la défaite et jusque dans les fers. »
Face à la montée des menaces, notre responsabilité commune est claire : résister et protéger. S’en prendre à un Français de confession juive, c’est attaquer la France dans son essence même. C’est renier ses valeurs fondamentales : la liberté de pratiquer sa religion ou sa spiritualité en toute sérénité et sécurité.
Résister, c’est combattre toutes les idéologies totalitaires en France et dans le monde.
Résister, c’est aussi refuser le silence et la négation historique. Il est intolérable de voir des théories complotistes proliférer sur Internet et dans les réseaux sociaux. Intolérable également d’entendre, y compris dans nos écoles, lycées, quartiers ou cercles mondains, des discours minimisant l’importance de la Shoah.
Comme l’écrit Imre Kertész « Auschwitz ne constitue pas un cas d’exception, tel un corps étranger qui se trouverait à l’extérieur de l’Histoire normale du monde occidental, mais bien l’illustration de l’ultime vérité sur la dégradation de l’Homme dans la vie moderne. »
Alors, ne laissons jamais la propagande et la falsification de l’histoire sans réponse. Ne laissons passer aucune des contre-vérités qui font le lit du négationnisme. L’enseignement de l’histoire de la Shoah doit nous servir d’antidote. Il peut nous permettre d’anticiper les signes d’une violence radicale qui se propage. Il doit nous aider à déceler et à dénoncer sans
relâche l’antisémitisme sous toutes ses formes, y compris lorsqu’il s’exprime de manière insidieuse, derrière un antisionisme de façade.
Malgré cette abominable leçon qui nous fut donnée par ce qui s’est passé dans ces camps, le XXe siècle a continué d’être marqué par le racisme.
Cet hydre doit être sans cesse combattue, aucune parcelle ne doit être cédée sur le terrain de l’indifférence, de l’intolérance ou de la haine. Nous devons encore et toujours nous en rappeler en ce début de XXIème siècle.
Cette charge incombe à chacun de nous. Alors, comme nous y invita Primo Levi, survivant de cet enfer, méfions-nous de “ceux qui cherchent à nous convaincre par d’autres voix que celle de la raison.” A nous, francs-maçons, qui revendiquons la fraternité, le doute et l’humilité, il appartient de toujours nous questionner : les barrières qui nous séparent des tentations identitaires, communautariste ou nationalistes sont fragiles. Les petits renoncements qui peuvent être faits face à des actes ou paroles d’exclusion, de stigmatisation ou de rejet sont mortifères. C’est un combat et un engagement de tous les instants qui doivent nous dresser contre les germes de la haine, par une pensée libre et humaniste.
Ce devoir de mémoire est donc aussi un devoir de vigilance et d’engagement. Ce qui s’est passé à Auschwitz nous oblige à tout jamais.
La barbarie et les ressorts qui y conduisent doivent toujours nous trouver en travers de leur chemin. C’est la condition même de notre humanité.
Je voudrais ici terminer en citant Georges Bernanos « Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore ».